Laissez-moi vous résumer Samir, l’auteur du roman Saccharoses, en quelques mots :
Né dans la capitale du nougat (d’où l’obsession pour les sucreries), Samir a grandi en banlieue lyonnaise et est diplômé de l’Université d’Oxford.
Dirigeant dans plusieurs agences de design, il a servi le fétichisme de la marchandise à Londres et New York avant de s’installer à Paris où il a fondé deux startups.
Deux trois choses qu’il aime ? Les yeux noirs, le rap, la collab Nike x Sacai, les Mille et une Nuits.
Interview en terrasse (oui, c’était entre deux confinements, en plein soleil, et c’était fort agréable de discuter avec lui de son premier roman, Saccharoses).
Bonjour Samir, j’ai lu Saccharoses en une fois, sans reposer le livre. Et vous, vous l’avez écrit d’une traite ?
J’ai beaucoup d’admiration pour les écrivains prolifiques. Ceux qui bâtissent des cathédrales en un temps record. Ceux qui publient un nouveau roman tous les ans.
Pour moi, l’écriture est une amoureuse capricieuse. Elle me visite quand ça lui chante. On s’envoie la vaisselle à la figure la moitié du temps.
L’autre moitié, j’essaie de la faire obéir, et de la coucher sur le papier. J’y laisse un litre de sang à chaque fois. Saccharoses m’a pris un an et demi.
J’aime beaucoup votre compte Instagram. Vous pouvez nous parler de ce qui vous inspire ?
Mon Instagram est un moodboard. Une entrée en matière dans mon univers. Mes inspirations.
L’esthétisme des manga, les jeux vidéo, la calligraphie arabe, les beaux livres, le rap, les sneakers, le New York des années 80.
Tout s’y mélange. Les faits. Les rêves. Et parfois je n’arrive plus à différencier les deux.
Comment avez-vous imaginé la structure narrative du livre, qui peut perturber ?
The usual Suspects avec Kevin Spacey et Gabriel Byrne m’a beaucoup impressionné quand j’étais ado.
Qui est Keyser Söze ? Où nous amènent les personnages ? Qui dit la vérité ? Qui ment ?
Les indices laissés ça et là sans qu’on s’en rende vraiment compte.
Jusqu’au final incroyable. La dernière pièce du puzzle était devant nos yeux depuis le début…
Saccharoses utilise beaucoup les flashbacks et un procédé d’écriture que j’appelle le Moucharabieh. Un récit doit se doter d’un labyrinthe intérieur. Il doit faire confiance à l’imagination du lecteur et de la lectrice. Lui donner libre cours. L’embarquer dans une relation aussi complexe qu’enivrante.
Pour mieux expliquer le Moucharabieh, je cite toujours la courtisane Ninon de Lenclos pour qui l’amour n’a jamais péri de faim. Toujours d’indigestion.
Comment on vend un livre en période de Covid ?
Beaucoup de débrouille et de système D.
Un auteur ne peut véritablement compter que sur lui-même pour faire connaître son livre.
En dépit du contexte très difficile, et grâce à la bienveillance de certains lecteurs et lectrices, j’ai eu un bel article dans Le Canard Enchaîné et une interview dans l’Officiel.
Il ne faut pas écouter les Cassandre qui ne donnent qu’un mois à un livre pour s’imposer. La seule prétention que je m’autorise, c’est cette intime conviction que Saccharoses va s’imposer comme un classique.
Et les classiques s’imposent dans le temps.
Des habitudes d’écriture ? Des horaires particuliers ?
J’écris sur Mon iPhone. Sur l’application Notes. Dans le métro, souvent. La nuit, aussi, quand l’écriture s’invite dans mon lit.
Il m’arrive alors d’écrire jusqu’au petit matin.
Je ne suis pas d’avis qu’il faille écrire tous les jours.
Savoir écrire, c’est parfois s’empêcher de prendre le stylo.
Des écrivains qui vous ont inspiré ?
Yukio Mishima. Raymond Carver. Nizar Qabbani. Mahmoud Darwich.
Les deux premiers sont relativement célèbres dans le milieu littéraire.
Les deux derniers, des poètes arabes du XXème, le sont beaucoup moins. Et pourtant, ce qu’ils ont écrit est d’une beauté renversante. J’essaie de les faire découvrir avec mes modestes moyens.
Saccharoses, c’est le titre depuis le début ou vous aviez un titre de travail qui a évolué ?
Sur Instagram je publie souvent des listes de mots dont j’aime la sonorité :
- Coloquinte,
- jujube,
- indélébile,
- acajou,
- vétiver,
- orpiment.
Saccharoses m’est venu comme dans un rêve. Sa musique. Sa subtile résonance avec les bonbons et les fleurs. Tout m’a plus dans ce titre.
Pourquoi écrire un livre alors que vous avez déjà fort à faire dans votre vie professionnelle ?
Par que je ne veux pas choisir entre la vie d’artiste et celle de créateur d’entreprise.
Parce que comme Romain Gary l’explique dans Vie et mort d’Émile Ajar “j’ai été très profondément atteint par la plus vieille tentation prométhéenne de l’homme : celle de la multiplicité.”
Tchekhov n’a pas voulu choisir non plus entre la médecine et l’écriture. Il disait de la première qu’elle était son épouse légitime et la seconde, sa maîtresse. Et qu’aucune des deux ne jalousait l’autre.
Je ne crois pas en la réincarnation. Je crois que nous n’avons qu’une vie. Et c’est là le drame. Alors j’essaie de mettre tous mes rêves dans celle qui m’a été accordée.
Vous pensez à quelqu’un en particulier quand vous écrivez ?
Je ne pense qu’à la musique. Le rythme des mots m’obsède. Enchaîner trois phrases parfaites, c’est plus fort que réunir les sept boules de cristal. Et comme dit Qaïs dans Saccharoses: “Rien ne pouvait égaler ce frisson. Pas même l’injection de la drogue la plus pure”.
La question que vous auriez bien aimé que je vous pose ?
Quels sont vos projets artistiques?
Mon deuxième roman, l’adaptation de Saccharoses et quelques textes inédits que je publierai sous un format inhabituel.
Merci beaucoup Samir pour cette interview !
Saccharoses de Samir,
17 euros, éditions Jean-Claude Lattès, 176 pages
A dévorer d’urgence.
Sélim